Les pas lourds et désordonnés s'approchent à une telle vitesse et dans un tel fracas que Victoire peutt sentir le vent du désespoir toucher son coeur depuis l'intérieur de la roulotte. Sa main s'arrête net, la brosse ayant gardé dans ses griffes une large poignée de ses longs cheveux encore mouillés. Le temps est suspendu jusqu'à ce que l'ouragan ne pénètre dans son nid douillet. Il ne faut pas longtemps. La porte s'ouvre dans un fracas assourdissant laissant passer Marie, armée d'une feuille de papaier qu'elle vient coller au visage de Victoire.
"Il m'a menti tout du long, il m'a qu'il ne voulait être avec personne, qu'il ne souhaitait pas démarrer de romance et vlan, trois jours plus tard, il se maque avec la premièr venue! Je le hais, je le hais!"
Victoire a pris le temps de poser sa brosse à cheveux sur la commode, s'approche avec douceur de Marie qui s'est mise à sangloter et lui prend la main, essayant de séparer gentillement les doigts qui sont serrés sur le bout de papier.
"Qu'est-ce que c'est ?" demande Victoire d'une voix apaisante avant de décoder quelques mots entre les sanglots de Marie, "le dernier billet sur son blog". Ca a l'air de marcher comme un déclic, les doigts de Marie s'ouvrent comme par magie, "je l'ai lu au moins 200 fois, je le connais par coeur. Pourquoi il m'a pas dit qu'il voulait pas de moi plutôt que de mentir ? Pourquoi il voulait pas de moi ?" dit-elle dans des sanglots qui redoublent. Victoire attrape le papier que Marie lui tend maintenant, le déchiffone autant qu'elle peut, tout en faisant assoir Marie sur le bord de son lit. Elle s'assoit à ses côtés, lui passe la bras autour des épaules et commence la lecture silencieuse.
"[...] Aussi, j'ai rencontré une fille. On a dansé ensemble, une de ces danses, vous savez, les yeux dans les yeux dès la première note, dès le premier mouvement, comme si on avait déjà dansé ensemble de depuis toujours. C'était tellement bon. Puis elle a tenu mon coeur dans le creux de ses mains et j'avais tout simplement envie de pleurer, là, dans ses bras, mais je me suis retenu, ce n'était ni le lieu ni le moment. On a rendez-vous pour dîner demain soir. Je suis heureux. Alors qu'on parlait après le cours, elle a utilisé ces mots à double sens, j'ai aimé ça, mais je n'ai pas relevé, en tout cas pas à haute voix. Etait-ce voulu de sa part ? [...]"
"C'est tout ? demande Victoire étonnée
- Comment ça c'est tout ? rétorque Marie mi-indignée mi-choquée par cette question. A l'heure où on parle, il doit être en train de se faire beau pour elle et la seule chose à laquelle il doit penser c'est de finir dans son lit.
- Attend, il y a encore quelques heures, il était le plus merveilleux des hommes, gentil , attentif, souriant, patient, curieux, spirituel, à la recherche de lui-même, et d'un coup ces quelques mots suffisent à changer la donne. Je ne comprends pas, Marie, dit Victoire avec la voix chaude de la gentillesse.
- Laisse tomber alors, c'est pas la peine, rétorque Marie sur un ton de reproche en redressant la tête qu'elle avait appuyée sur l'épaule de son amie
- Non, je laisse pas tomber, répond Victoire patiemment. Tu es dévastée et je n'aime pas te voir comme ça, mais peut-être que tu peux m'expliquer ?
- J'ai tout donné à ce mec. Je lui ai ouvert la porte de chez moi, j'ai passé du temps avec lui, je lui ai fait un petit déjeuner, laissé accès libre à mon ordinateur. J'ai tout fait pour qu'il se sente chez lui, à l'aise, et c'est comme ça qu'il me remercie! La prochaine fois il peut aller se faire voir ailleurs! D'ailleurs, il n'y aura pas de prochaine fois. Ca va bien de se faire prendre pour une conne, une fois suffit!"
Les larmes ont quitté les joues de Marie et laissé la place à des pommettes rosies, des pupilles dilatées et la machoire serrée par la colère. Le dos raidit, elle arrache la feuille de papier des mains de Victoire, et ajoute, "Si tu peux pas comprendre ça, je sais pas pourquoi je suis là" sur un ton sans appel, puis se lève, prête à partir. Victoire ne pipe mot. Elle la connaît sa Marie depuis le temps, rien ne sert d'envenimer la situation, elle reviendra d'elle-même. Sur le pas de la porte encore ouverte, Marie se retourne, "et tu dis rien? tu t'en fous, c'est ça?" sur un ton de reproche.
"Non, je ne m'en fous pas et tu le sais très bien. Et tu sais aussi très bien que dans cet état là tu n'écoutes pas ce que je te dis, alors je préfère me taire, dit Victoire, toujours aussi calme, alors qu'elle pense tout bas "Je sais pas quoi te dire ma vieille, je réfléchis". "Tu veux pas venir te rassoir ?
- Non tu m'emmerdes à toujours jouer le bon samaritain, toujours calme, jamais gagnée par les émotions, comme si rien n'avait d'importance. Je sais pas pourquoi je suis venue, vraiment! dit Marie, en posant la main sur la poignée de la porte, pête à quitter la roulotte où elle est venue tellement de fois se réfugier et chercher un peu de chaleur humaine. Le chaleur de la poignée est comme un électrochoc, elle la lâche instantanément et donne un coup de pied dans la porte avec une telle violence que celle-ci rebondit et vient se claquer en faisant trembler la roulotte.
"L'ouragan vient de passer", pense Victoire. Bouche-bée, Marie reste immobile, incapable de rien, l'esprit vide.
"Tu veux pas venir te rassoir ? redemande Victoire toujours avec la même voix douce et apaisante.
Marie reste figée, silencieuse, absente elle n'a pas entendu Victoire qui se lève, lui passe un bras autour des épaules, la guide gentillement vers sa chambre et l'invite à se rassoir sur le bord de son lit, "Ne bouge pas, je vais te faire une tisane comme tu l'aimes, bien chaude", dit-elle en chuchotant dans le creux de son oreille, comme si Marie était malade. Elle s'éloigne vers la cuisine, et gardant un silence religieux remplit la bouilloire, attrape deux tasses dans le placard à sa droite juste au-dessus de l'évier et sans avoir besoin de faire un pas sort deux sachets de tisane de fenouil dans le placard à petit-déjeuner. Après avoir versé l'eau bouillante sur les sachets, elle ajoute une cuillérée à café de miel et retrouve Marie dans la position exacte dans laquelle elle l'a laissé. "Ca à l'air d'être sérieux cette fois", pense-t-elle. Des larmes viennent s'écraser sur les genoux de Marie, qui ne fais rien pour les sècher ni les cacher. "S'en rend-elle seulement compte", se demande Victoire qui vient se rassoir à ses côtés, "tiens, du fenouil avec du miel. Attends un peu avant de boire, c'est bouillant pour l'instant", dis-elle.
"Je lui parle comme si elle avait 4 ans, pense-t-elle, alors qu'elle en a 23. Remarque, là tout de suite, elle a certainement pas 23 ans. Qu'est-ce qu'elle imaginait, qu'est-ce qu'elle attendait de ce mec? Oui il était canon, oui, il la regardait avec un sourire qui pouvait lui laisser penser qu'il souhaitait plus que simplement un canapé dans le salon, mais d'après Marie, il avait été très clair aussi, il ne souhaitait rien de plus. Alors quoi, Marie, ça faisait des jours et des jours que tu en parlait, que tu étais super excitée, mais tu ne l'as vu quelques jours et savais que tu ne le reverrais pas, ou en tout cas pas de si tôt. Qu'est-ce qui est allé se mettre dans ta petite tête. Des fois, j'te jure, Marie, faudrais quand même que tu aies la tête sur les épaules..." Ses pensées sont alors stoppées par les sanglots bruyants de Marie. La vie refait surface et la douleur la submerge. Elle s'allonge sur le lit dans la position du foetus. "Enfin, ça sort", pensa Victoire en s'allongeant derrière Marie et en la tenant dans ses bras comme une mère tiendrait son bébé. "Pleure, ma belle, pleure tout ton saôul, ne te retiens surtout pas", chuchota-t-elle à l'oreille.
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